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Musique expérimentale et pain bleuets-bananes


C’est au 185 avenue Van Horne, à la salle The Plant que Kohlenstoff a décidé de faire le lancement de l’album Memory is the residue of thought d’Adam Basanta.

Dès mon entrée, je suis séduit par la salle adorablement kitsch et l’installation bricolée avec les moyens du bord : des spots rouges et bleus, une boule disco miniature, des bibelots quétaines, des enceintes et des « cossins » audios qui traînent au milieu des poufs et des divans et même, clou de la soirée, du pain bananes-bleuet fraîchement sorti du four. Bref, une atmosphère conviviale et informelle pour ceux qui auront bravé la pluie de ce samedi soir.

En ouverture, Félix-Antoine Morin et Maxime Corbeil-Perron proposent une improvisation mêlant synthèse, accordéon et batterie de vaisselles captée en direct. Installés sur une table de fortune (voir la photo), les deux construisent au fil des minutes une sorte de puissant mantra en crescendo. Confortablement enfoncé dans un divan, je ferme les yeux et renverse ma tête vers l’arrière, comme si je baignais dans le bruit, les tintements métalliques et les drones de basses fréquences. Puis, le son s’amenuise. Decrescendo rapide. Les haut-parleurs se taisent. Silence. Applaudissements et accolade des deux musiciens pour conclure une improvisation bien sympathique.

C’est au tour d’Émilie Payeur de prendre le relai avec la pièce au titre controversé Kissing Hitler. Il s’agit d’une commande faite par une galerie d’art berlinoise avec, pour thématique, « les sons accompagnant la mort de Marilyn Monroe », la diva de la pop décédée dans des circonstances ombrageuses en 1962. Après avoir écouté de nombreux enregistrements et entrevues, la compositrice est restée particulièrement accrochée à une anecdote plutôt morbide de la vie de Monroe. Lors d’une entrevue, Monroe aurait déclaré qu’un acteur avait dit que l’embrasser était comparable à embrasser Hitler. La pièce est angoissante, parsemée d’enregistrements vieillots et de sifflements qui rendent l’atmosphère pesante, et je sens que la musique envahit mon espace. Cela s’explique sans doute par la petitesse de la salle et par la proximité des haut-parleurs, effet peu commun dans les concerts de musique électroacoustique « classiques » comme Akousma ou Electrobuzz. Si l’espace est un paramètre que le compositeur peut travailler au même titre que le timbre et les hauteurs, des installations comme celles de Kohlenstoff pourraient permettre de nouveaux effets! À méditer.

Quoi qu’Adam en dise, la demi-heure que Kohlenstoff lui a dédiée fut riche en couleurs! Il débute avec 3 miniatures de glitch, trois « instants gris » de sons « pauvres », de bruits de manipulation d’enregistrement, de bruit de fond, etc. Pour Adam, ces moments devaient servir de moment d’accalmie entre les segments d’un paysage sonore beaucoup plus riche et coloré, comme des ombres de gris entre des teintes de couleurs. Pourtant, l’écriture fourmillante et la qualité de la production n’évoquent pas en moi le gris, bien au contraire! La musique est vive, pétillante, une très belle introduction au superbe panorama sonore que le compositeur nous donne par après. When you’re looking for something, all you can find is yourself est le titre donné à sa pièce sur l’archipel de Broughton, une région au nord de la Colombie-Britannique. Le compositeur sentait qu’il n’était pas possible d’abstraire un lieu, d’en faire un enregistrement et de la matérialiser ailleurs. Il a donc décidé de composer une sorte de triptyque en s’inspirant de ce que le lieu représentait pour trois personnes : lui-même, son guide et un membre de la communauté vivant dans l’archipel. Lorsque la pièce commence, les paroles qui me viennent en tête sont claires : « C’est absolument fantastique ». Des sons à foison qui m’inspirent un univers merveilleux, une forêt féérique. Les paysages sonores qu’il développe sont riches, mêlant objets sonores, instruments de musique et narration. C’est d’ailleurs cette narration qui suscite en moi des questions, puisqu’on y entendra le compositeur expliquer son intention (qu’il voulait représenter l’idée que se faisaient trois personnes d’un lieu, etc.), ce qui ne me paraît pas nécessaire, puisque la proposition est déjà claire. L’œuvre est prête à vivre d’elle-même et sa richesse est suffisante pour que notre imagination y entende ce qu’elle veut bien. Même, peut-être qu’une intervention aussi directe du compositeur vient nuire à la pièce, puisqu’elle nous limite dans notre interprétation de la pièce. C’est d’ailleurs une bien belle ironie de la musique : lui faire dire quelque chose, sans dire quoi que ce soit.

C’est à regret que je quitte tout de suite après la performance de Basanta, manquant de peu la performance d’Alain Lefebvre. Avis aux intéressés, il présentera son travail en collaboration avec l’artiste et danseuse Sonya Stefan le 29 mai à 22 h, au Musée d’art contemporain, salle BWR. Un petit avant-goût est disponible sous ce lien : http://vimeo.com/91996379.

Finalement, un deuxième concert pour Kohlenstoff, et un autre succès pour ces maniaques de la musique expérimentale. On attend déjà le prochain.

Pierre-Luc Senécal

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